Nouveaux bons de caisse, nouveaux comptes à terme, nouvelles assurances-épargne : les banques, mais aussi les assureurs, convoitent les milliards du bon d’Etat qui arrive à échéance dans moins d’une semaine.
De quoi obtenir mieux pour son épargne ? Si oui, comment ? Et surtout, à quoi faire attention ? Gros plan sur les astuces des banques pour vous appâter.
Voici un an, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem lançait son fameux bon d’Etat pour réveiller la concurrence bancaire. Si vous faites partie de ceux qui ont été séduits par l’offre du gouvernement, vous allez bientôt récupérer votre argent. Le 4 septembre, pour être précis. La date est attendue depuis longtemps. Ce jour-là, l’Etat remboursera les quelque 600.000 Belges qui ont placé une partie de leur épargne dans le bon d’Etat émis l’an dernier. Les 22 milliards bloqués pendant 12 mois (et les intérêts) seront de retour sur les comptes bancaires.
Au total, ce sont même près de 30 milliards qui s’apprêtent à être débloqués. Au montant record de 22 milliards récoltés par le bon de Vincent Van Peteghem s’ajoute en effet l’argent placé sur les comptes à terme que beaucoup de banques avaient proposés à l’époque pour freiner la fuite de dépôts. Une somme considérable et un enjeu de taille. Pour l’Etat qui proposera une nouvelle offre le 5 septembre, mais surtout pour les banques. Car la toute grande partie de l’argent qui est allé s’investir dans l’offre du gouvernement a été retirée du livret. Les grandes banques ont particulièrement été touchées : 5,5 milliards pour BNP Paribas Fortis et 5,7 milliards pour KBC.
Pour s’assurer que les milliards libérés ne repartent pas dans la nouvelle offre de l’Etat et récupérer une partie du butin, elles ont donc lancé toutes sortes d’offres au cours des derniers mois. Rarement, elles ont d’ailleurs été aussi actives pour séduire les clients. Certaines ont redonné vie à de “vieux” produits. D’autres ont revu leurs conditions à la hausse sur des offres existantes. D’aucunes ont lancé de nouvelles formules d’épargne.
Sans oublier l’action de la banque en ligne MeDirect qui offre un bonus de 0,50 % aux acheteurs du nouveau bon d’Etat. (Alain Moreau, CEO de Medirect)
Joli coup de marketing pour Medirect
Contrairement aux grandes banques qui veulent récupérer leur dû, la banque en ligne encourage les épargnants à souscrire au nouveau bon d’Etat qui arrive. Les clients qui passeront par sa plateforme pour en acheter bénéficieront d’un bonus en cash de 0,50 %. Supposons que le nouveau bon offre un taux net d’environ 2 %, celui qui placera 10.000 euros recevra non seulement 200 euros d’intérêts, mais percevra également 50 euros en cash de MeDirect.
Deux restrictions cependant : MeDirect applique un plafond de 250.000 euros par client et il doit s’agir d’argent “frais”, c’est-à-dire venant d’une autre banque.
L’objectif de cette action autour du bon d’Etat pour MeDirect est de faire découvrir la banque et son offre globale sans devoir dépenser de l’argent dans une grande campagne marketing, explique le CEO Alain Moreau, ancien patron de Deutsche Bank Belgium qui a rejoint la banque en ligne en début d’année : “Nos taux sont parmi les meilleurs du marché, tant pour les comptes d’épargne que pour les comptes à terme. Et nous disposons également d’une très large gamme de fonds et de trackers.”
En face, les grandes banques ne visent qu’une chose, ajoute Alain Moreau. “Elles veulent voir revenir dans leurs bilans l’argent investi dans le bon d’Etat. Voilà pourquoi elles se concentrent sur un certain type de produits maison comme les bons de caisse et les dépôts à terme qu’elles poussent en priorité. Nous encourageons les épargnants à souscrire au bon d’Etat parce que c’est un produit qui peut constituer une alternative intéressante dans un portefeuille diversifié. Une bonne allocation des ressources est dans l’intérêt du client”.
Selon le CEO de MeDirect, le secteur bancaire belge continue de souffrir d’un manque de concurrence : “C’est un oligopole entre grandes banques dont le principal souci est de maximiser leur marge bénéficiaire. C’est pourquoi, elles ne proposent pas tous les produits proactivement à tous les clients.”
C’est que, selon un récent sondage réalisé par AG Insurance, la moitié des personnes qui ont souscrit au bon d’Etat l’année dernière prévoient en effet de faire de même en septembre. Ils se souviennent plus que probablement du précompte réduit qui a boosté le rendement du bon Van Peteghem à 2,81 % net. Sauf que cette fois le précompte retenu sur les intérêts ne sera pas aussi avantageux. Le gouvernement en affaires courantes ne peut plus donner un coup de pouce avec un précompte réduit de moitié à 15 % au lieu de 30 %. Les banques le savent mieux que quiconque et elles sont bien décidées à se battre pour récupérer les milliards perdus l’an dernier. La preuve ? Un tas d’offres promotionnelles ont fleuri ces dernières semaines.
Mais attention, car pour limiter leurs coûts, elles adoptent une stratégie sélective. Traduction : ces alternatives au bon d’Etat restent ciblées et temporaires. En fait, ce sont des offres spécifiques qui ne concernent pas l’ensemble de la gamme de produits mais seulement certains produits (bons de caisse, comptes à terme) et certains clients (en priorité ceux qui s’étaient laissés tenter par le bon d’Etat), observe Eric Dor, professeur à l’IESEG School of Management (Lille) : “C’est un moyen pour elles de séduire les épargnants qui leur coûtent beaucoup moins cher que d’augmenter pour tout le monde les taux sur le livret. Elles ne doivent rémunérer que l’argent issu de ces opérations commerciales spécifiques, et non les dizaines de milliards d’euros d’épargne qui dorment sur les livrets de leurs clients”, souligne l’économiste.
C’est Belfius qui a été la première à lancer le mouvement . Dès le début du printemps, la banque publique a remis en bonne place dans sa vitrine un produit similaire au bon d’Etat : le bon de caisse. Avec en plus la possibilité de l’acheter via l’application mobile afin de rendre la souscription “aussi simple et accessible que possible pour tous les clients”, souligne Belfius dont le bon à un an propose actuellement 3 % brut, soit 2,10 % net (après précompte mobilier).
BNP Paribas Fortis est, elle aussi, repartie à l’offensive en proposant début août des bons de caisse à un an et deux ans affichant un taux brut de 3,10 %, qui ont, paraît-il, connu un succès dépassant les attentes. Pourquoi ? Parce que les taux offerts à ce moment-là étaient alors proches, voire légèrement supérieurs (pour le bon de caisse à deux ans) à ceux des OLO (obligations de l’Etat belge) pour les mêmes durées. Ce qui montre que “bon nombre d’épargnants étaient à la recherche de produits simples, abordables et sécurisés dans un contexte de forte volatilité des marchés financiers et d’une tendance à la baisse des taux d’intérêt, et ce sur une période plus longue que sur une durée de 12 mois”, souligne BNP Paribas Fortis.
Vu le succès rencontré, mais aussi à cause de la baisse des taux de ces derniers mois, la première banque du pays a toutefois dû fermer le robinet et proposer des nouveaux bons de caisse à un taux légèrement inférieur. Jusqu’au 4 septembre, les clients peuvent bénéficier pour ces deux bons de caisse à un an et deux ans d’un rendement net après déduction du précompte de 2,03 % (au lieu de 2,17 % auparavant). De quoi malgré tout “geler” un taux d’intérêt intéressant dans un environnement de taux à la baisse et “offrir à notre clientèle une tranquillité d’esprit quant au réinvestissement du bon d’Etat avant l’échéance de celui du 4 septembre”, appuie BNP Paribas Fortis dont les conditions sont ainsi devenues légèrement moins intéressantes sur un an que chez Belfius, mais qui restent compétitives face à celles de certaines petites banques comme CPH. Quant à la banque gantoise vdk, qui possède désormais une agence à Bruxelles, elle tente pour sa part de se démarquer avec de nouveaux bons de caisse verts “à impact énergétique” d’une durée allant de un à dix ans : celui à un an étant assorti d’un rendement net de 2,10 %.
Pour appâter les clients, certaines institutions ont toutefois préféré jouer la carte des comptes à terme. Des comptes que beaucoup avaient dégainés à l’époque pour contrer le bon Van Peteghem. Ce fut notamment le cas de la banque Argenta qui propose depuis début août trois nouveaux comptes, avec une formule à un an offrant un taux net de 2,03 %, contre 2,31 % net auprès des challengers MeDirect et Santander.
Pour court-circuiter le bon d’Etat dont le taux ne sera annoncé que mercredi 3 septembre, ING a pour sa part lancé un nouveau compte à terme spécial “bon d’Etat” ouvert jusque fin septembre et dont elle vient de dévoiler un rendement gardé secret jusqu’à ces derniers jours. Tant pour le compte à 6 mois que pour le compte à 1 an, celui-ci se monte à 3,80 % brut. Un taux canon qui correspond à un taux d’intérêt net (après retenue du précompte) de 1,33 % pour le compte à 6 mois et à 2,66 % pour le 12 mois, et auquel il faut ajouter un bonus de 0,20 % brut dont bénéficieront les clients qui ont eu la possibilité de se pré-inscrire jusqu’au 20 août dernier. Lors de la présentation semestrielle de ses résultats début août, la quatrième banque du pays avait en effet promis d’arriver avec l’offre “la plus attrayante” du marché. Seule condition pour bénéficier des ces conditions ultra-intéressantes : il doit s’agir d’argent “frais” (provenant d’une autre banque) ou qui vient du bon d’Etat.
En face, KBC a adopté une stratégie plus évasive, refusant de dévoiler son jeu lors de la publication de ses comptes semestriels. Tout comme elle continue de ne donner aucune indication sur les taux pratiqués sur ses comptes à terme pour les “bons” clients. A l’inverse, Deutsche Bank se veut beaucoup plus transparente quant aux taux offerts sur ses comptes à terme. Ceux-ci sont désormais disponibles sur son site web (3,05 % brut sur un an). Tout comme Beobank d’ailleurs qui a décidé de publier sur son site internet, alors qu’ils étaient jusqu’ici confidentiels, les taux d’intérêt des comptes à terme, “dans un souci de transparence et en réponse à la demande croissante pour ce type de produits”. Et donc, c’est bien simple, le taux net sur son compte à terme à un an pour un montant inférieur à 50.000 euros se monte à 2,380%.
Bons de caisse, comptes à terme… : comparer reste en effet le maître-mot pour faire le bon choix. D’autant que les assureurs, eux aussi, se sont lancés dans la course pour tenter de tirer les marrons du feu. Si les assurances-épargne (dites de la branche 21), qui garantissent un certain revenu, avaient perdu de leur attrait ces dernières années en raison du niveau extrêmement bas des taux entre 2015 et 2022, la hausse des taux d’intérêt des deux dernières années permet aux assurances de la branche 21 de pouvoir à nouveau proposer des rendements compétitifs. L’une des meilleures offres du moment provient d’Ethias qui a lancé une nouvelle assurance-épargne (Ethias Savings 21) garantissant pendant huit ans un taux de 3 %, et même de 3,20 % si vous placez au moins 20.000 euros. Le tout sans frais d’entrée ou de gestion, ni de frais de sortie après 8 ans. Seule la taxe d’entrée est due, ce qui ramène le rendement annuel net à 2,95 %. L’assureur propose aussi des produits de plus courte durée : 3 ans et même 18 mois depuis cet été, dont le rendement net varie entre 2,05 % et 2,40 %.
Le leader du marché, AG Insurance, a lui aussi revu à la hausse les conditions sur deux produits qu’elle commercialise déjà. L’assureur propose ainsi un revenu garanti plus élevé sur deux assurances de la branche 21 existantes (Future Invest Bon et AG Invest+). Les nouveaux clients qui souscrivent recevront un intérêt de 3,5 % pendant les deux premières années et de 2,25 % pendant les six années suivantes. La taxe d’entrée de 2 % est également due, en plus des frais d’entrée qui peuvent aller jusqu’à 3,50 %. Il est possible de bénéficier de ces nouvelles conditions si vous placez au moins 2.500 euros, et de verser la prime après le 4 septembre.
Toutes ces offres, ainsi que celles qui vont encore arriver au dernier moment (Belfius, par exemple, promet d’élargir sa gamme dans les jours qui viennent en lançant un nouveau produit innovant à rendement intéressant), n’empêchent bien sûr pas de réinvestir dans le nouveau bon d’Etat à un an. Le 4 septembre, le gouvernement remboursera le montant de 22 milliards d’euros levés en septembre 2023 et versera en plus les intérêts, environ 600 millions d’euros. Mais dès le lendemain, les épargnants pourront éventuellement réinvestir cet argent dans le nouveau bon à un an dont la campagne s’étalera du jeudi 5 septembre au vendredi 13 septembre.
De manière à faciliter le réinvestissement dans le Trésor des milliards placés par les Belges à la fin de l’été dernier, l’Agence de la dette a en effet décalé l’émission d’une semaine. Le but ? S’adjuger quatre des 22 milliards d’euros qui vont être débloqués, selon son patron Jean Deboutte. Certes, de plus en plus de Belges sont mécontents du service de leur banque, de son accessibilité… et songent à se tourner vers l’Etat pour faire fructifier leurs économies. Mais l’objectif est ambitieux. D’abord parce que, comme on l’a dit, le précompte mobilier retenu sur les intérêts ne sera pas avantageux cette fois-ci. Le gouvernement en affaires courantes ne pourra pas offrir des conditions aussi alléchantes qu’il y a un an. Ensuite parce que l’environnement de taux est totalement différent. L’an dernier, ils étaient à la hausse. Ces derniers mois, ils sont à la baisse. Raison pour laquelle BNP Paribas Fortis a réduit les taux de ses bons de caisse. Raison aussi pour laquelle la petite banque d’origine néerlandaise NIBC a réduit de 0,25 % la rémunération de son compte d’épargne. Quant au CPH, il a prévu d’abaisser prochainement de 0,60 % la rémunération de son compte d’épargne classique pour ramener celle-ci à 1,6 %.
Dit autrement, il est fort probable que le rendement offert par le nouveau bon d’Etat du 5 septembre fera les frais de cette baisse de taux. Il faudra sans doute se contenter d’un rendement net d’environ 2 %. C’est dire si les institutions les plus agressives en vue de récupérer les milliards perdus l’année dernière, telle ING, ne rentreront pas dans leurs frais. Du moins pas tout de suite. Mais on peut compter sur elles pour que ce soit le cas dans une seconde phase, grâce à la vente de fonds de placement et à leurs confortables commissions, une fois le client rentré au bercail.
Pour terminer ce tour d’horizon, on notera que la bataille ne se joue pas sur le front du livret d’épargne. Malgré le bon Van Peteghem qui visait à réveiller la concurrence entre les grandes banques du pays, la majorité des comptes d’épargne classiques restent peu généreux. On parle de rendements qui tournent toujours autour de 1 %. Heureusement, les challengers du marché comme Keytrade, Medirect ou Santander offrent (sans conditions particulières) entre 2,25 % et 2,85 % de rendement total. C’est plus que la plupart des produits d’épargne, hormis peut-être le nouveau compte à terme d’ING avec son taux spectaculaire de 2,66 %, dont les grands acteurs du marché ont fait la promotion ces dernières semaines. C’est plus aussi que les 2 % attendus pour le bon d’Etat.
Or le gros avantage du livret d’épargne, outre sa liquidité, est qu’il n’est pas taxé. Contrairement à ceux du bon d’Etat, les intérêts bénéficient d’une exonération de précompte mobilier jusqu’à concurrence de 1.020 euros par contribuable. Au-delà, un précompte réduit de 15 % s’applique. Seul hic, on l’a dit : les taux sont à la baisse en cette fin d’été 2024. La Banque centrale européenne a réduit le taux de dépôt de 25 points de base à 3,75 % en juin. Et les économistes s’attendent à ce qu’elle réduise par deux fois encore le loyer de l’argent d’ici la fin de l’année, en septembre et en décembre, ce qui porterait son taux directeur à 3,25 % à la fin de cette année.
Seule certitude : “La prime de fidélité du livret d’épargne offre une bonne protection pour l’épargnant quand les taux sont à la baisse”, répond Eric Dor, professeur et directeur des études économiques à l’IESEG de Lille.
La question à se poser est la suivante : à quelle vitesse les banques répercuteront les conditions de marché actuelles sur leurs comptes d’épargne? Seule certitude : “La prime de fidélité du livret d’épargne offre une bonne protection pour l’épargnant quand les taux sont à la baisse”, répond Eric Dor, professeur et directeur des études économiques à l’IESEG de Lille. Certes, un compte à terme peut rapporter davantage, mais des pénalités peuvent s’appliquer en cas de clôture anticipée (aucun euro d’intérêt chez ING par exemple). Sans oublier que le taux de base peut changer à tout moment. Il est néanmoins possible d’anticiper la baisse des taux en choisissant un livret d’épargne avec une prime de fidélité la plus élevée possible (1,80 % chez Santander, par exemple). Tout simplement parce que, comme le souligne Eric Dor, cette dernière est garantie pour 12 mois. Morale de l’histoire : placer son argent en période de renversement de tendance, ce n’est jamais simple.
Sebastien Buron